Arabie saoudite

La planète marche sur des œufs à Riyad

Les dirigeants du monde entier défilent en Arabie saoudite depuis la mort du roi Abdallah, disparu vendredi à l’âge de 90 ans, se gardant toutefois d’aborder les questions délicates. Tous ont salué la mémoire du défunt monarque et vanté ses qualités, se gardant d’évoquer des cas précis, comme celui du blogueur Raif Badawi, condamné à 1000 coups de fouet.

Hier, c’était au tour du président américain de débarquer à Riyad, la capitale, à la tête d’une importante délégation composée notamment du secrétaire d’État John Kerry, du directeur de la CIA et du chef du commandement de l’armée américaine pour le Moyen-Orient.

En soirée, Barack Obama et sa femme, Michelle, ont été reçus à souper à la résidence privée du nouveau roi Salmane.

Si le président a évoqué les droits de l’homme de façon générale lors de ses échanges avec les autorités saoudiennes, il a préféré ne pas aborder de cas précis et s’en est justifié dans une entrevue à CNN, estimant que ce n’était pas le moment opportun.

MÊME DISCRÉTION DU CANADA

La veille, la délégation canadienne avait fait preuve de la même discrétion. Ni le ministre des Affaires étrangères, John Baird, ni le gouverneur général, David Johnston, n’ont évoqué le cas de Raif Badawi, dont la femme et les trois enfants sont réfugiés au Québec.

« Le gouverneur général a présenté ses condoléances à la famille royale au nom du Canada à la suite du décès du roi Abdallah. Nous ne pouvons vous en dire davantage sur la teneur des échanges », a expliqué dans un courriel laconique à La Presse une agente des relations avec les médias du bureau du secrétaire du gouverneur général, Julie Rocheleau.

« Si j’étais Harper, je me serais rendu à Riyad et aurais exigé de revenir avec [Raif Badawi] ! »

— Charles-Philippe David, de la chaire Raoul-Dandurand

Une source dans l’entourage du ministre des Affaires étrangères a toutefois rappelé que « le ministre Baird a eu plusieurs rencontres mercredi dernier, lors du Forum économique mondial, notamment avec le prince [saoudien] Turki al-Fayçal », auprès de qui il aurait rappelé « les préoccupations persistantes du Canada concernant le cas de M. Badawi ».

« Même si le prince ne joue aucun rôle dans le gouvernement, a ajouté cette source, il fait partie d’un important groupe de réflexion et occupe un certain nombre de postes importants, en Arabie saoudite et sur la scène internationale. »

Amnistie internationale (AI) reconnaît d’ailleurs l’importance de cette intervention du ministre Baird. « Je tiens à le dire, car c’est assez rare », souligne Béatrice Vaugrante, directrice générale d’AI pour le Canada francophone. « Par contre, il faut maintenir la pression, enchaîne-t-elle. Ce n’est pas parce qu’on a sorti un communiqué de presse et fait une rencontre que ça y est, c’est bon. »

« Il faut faire toujours d’énormes pressions pour Raif Badawi. Il n’y a rien du tout qui garantit qu’il ne sera pas flagellé vendredi, on a juste un avis médical, poursuit-elle. D’ailleurs, c’est presque de la torture psychologique : chaque semaine, il y a un médecin qui doit décider si oui ou non il va être flagellé, et même entre médecins, ils ne s’entendent pas. »

Le titulaire de la chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM en études stratégiques et diplomatiques, Charles-Philippe David, estime que la question « aurait pu » être abordée et suggère qu’elle l’a peut-être été, « discrètement, comme les Saoudiens aiment que les choses soient faites ».

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